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Portage salarial : des travailleurs reprochent à l’exécutif d’avaliser une escroquerie

Un avenant à la convention collective permet à toutes les entreprises de portage de prélever des charges liées à l’activité de leurs salariés, en plus des frais de gestion déjà ponctionnés. Une association va saisir le Conseil d’État pour dénoncer « la légalisation de prélèvements abusifs ».

Extraits de l’article, consultable en intégralité ici avec un abonnement.

Un avenant à la convention collective de la branche du portage salarial, qui dormait dans les cartons depuis près de trois ans, vient d’être «étendu» par la Direction générale du travail : (…) l’avenant– dit avenant no 2 – les autorise à prélever une liste non exhaustive de charges, liées à leur activité, mais sans jamais les intégrer dans les frais de gestion.

Le portage est une relation contractuelle entre une société de portage, une entreprise cliente et un salarié porté. Certains de ces salariés dénoncent une institutionnalisation de procédés douteux, qui auraient cours depuis des années. Plusieurs dizaines de plaintes pour «escroquerie ou abus de confiance» et «pratique commerciale trompeuse» ont en effet été déposées. Une dizaine de sociétés de portage sont accusées d’avoir maquillé des frais de gestion en pseudo cotisations patronales, non reversées à des organismes sociaux. Des «frais cachés» dont les taux seraient anormalement élevés et qui n’auraient qu’un seul objectif: garnir les caisses de ces sociétés. On estime à 90000 le nombre de salariés portés que se disputent plusieurs centaines d’entreprises. Le montant des frais de gestion est le principal critère de mise en concurrence. Ces frais varient entre 5 et 10% du chiffre d’affaires du salarié porté.

«La convention collective était jusqu’ici sans équivoque, détaille Sylvain Mounier, fondateur de la Fedep’s, une association de défense des salariés en portage salarial. Le chiffre d’affaires était ventilé en deux parties: d’un côté le montant disponible, mis à la disposition du salarié porté. Et de l’autre, des frais de gestion, encaissés par l’entreprise de portage.»

L’article 21.2 de la convention collective du portage salarial.

Désormais, avec l’avenant étendu fin juin, les sociétés de portage n’ont plus à intégrer dans les frais de gestion « les prélèvements sociaux, fiscaux et autres charges auxquelles est soumise l’entreprise de portage salarial ». Un passage, dans les lignes de l’avenant, fait particulièrement bondir Sylvain
Mounier : «Ces prélèvements sociaux et fiscaux et autres charges, intégralement financés par le salarié porté, se composent notamment de…

« “Notamment”? Ça veut dire quoi? Que la liste n’est pas exhaustive!», s’étrangle-t-il. D’après lui, tout cela confine à l’absurde: « Cela signifie que ce qui relève des frais de gestion n’ont pas à être inclus dans les frais de gestion! Les sociétés de portage peuvent continuer à prélever tout ce qu’elles veulent, en toute impunité et en vantant des frais peu élevés.» (…)

Questionné sur les plaintes pour escroquerie, le PEPS répond que «si des frais indus avaient été volontairement prélevés par des entreprises du portage, le PEPS n’en a pas connaissance». Sylvain Mounier décrit comment le système a, selon lui, été perverti par des entreprises: «Pour augmenter leur marge en affichant des frais de gestion attractifs, certaines sociétés rajoutent depuis des années des charges douteuses dans les bulletins de paie, c’est-à-dire sur le montant disponible du salarié porté. Frais d’eau et d’électricité, impôts de production de l’entreprise, frais d’avocat : ces prélèvements sont qualifiés, à tort, de charges patronales. Ce sont des frais de gestion mais prélevés en dehors des frais de gestion», explique le fondateur de l’association Fedep’s. (…)

D’après lui, «20 à 30 millions d’euros sont subtilisés chaque année aux salariés portés». Pour expliciter ce que représente, à ses yeux, l’extension de l’avenant, Sylvain Mounier file la métaphore: « C’est un peu comme si 20 millions étaient dérobés tous les ans, que les cambrioleurs étaient identifiés, et qu’au lieu de les arrêter, l’État décidait de leur donner un coup de main.» Lui a opté pour la création d’un label « Zéro frais cachés » remis, après audit, à des entreprises souhaitant afficher leur volonté de transparence. (…)

Sylvain Mounier revendique aujourd’hui entre 50 et 70 adhérents à son association, et huit entreprises labellisées. Il assure aussi avoir échangé avec «300 salariés par an» depuis 2017 (année de création de la Fedep’s) pour les aider à décrypter leurs fiches de paie. Son ordinateur contient des centaines et des centaines de bulletins de salaire et d’échanges de mails. Il conseille les salariés qui ont des doutes et leur recommande d’insister lourdement auprès des sociétés de portage, pour obtenir les détails des prélèvements. «La réforme du bulletin de paie simplifié, en vigueur depuis 2018, n’arien arrangé, précise-t-il. Auparavant, vous aviez pour chaque ligne, un taux, une assiette, un organisme. Désormais, tout est aggloméré dans des lignes de synthèse. C’est moins lisible et donc, encore plus facile d’y noyer des surcoûts. Les sommes maquillées se cachent sous des libellés fourre-tout: “Autres charges patronales”, “Autres contributions dues par l’employeur” ou encore “Cotisations statutaires ou conventionnelles”. »

Sylvain Mounier décrit aussi des prélèvements en double, des taux majorés sans justification ou encore des prélèvements qui n’ont pas lieu d’être. Ces soupçons sont d’ailleurs au cœur de plusieurs dizaines de plaintes, déposées partout en France. Une ex-salariée portée estime le préjudice à 18000 euros, sur dix ans. Quatre informations judiciaires sont ouvertes, à Toulouse, Bordeaux, Paris et Nanterre, selon Maître Bertrand Repolt, dont le cabinet Bourdon & Associés suit «entre 20 et 30 dossiers». Près d’une dizaine d’entreprises sont visées par ces plaintes, dont ITG, l’un des leaders du secteur.

Salariée «portée» par cette entreprise pendant dix ans, Sarah* vient de porter plainte. Elle a passé en revue tous ses bulletins de salaire et noté scrupuleusement, ligne par ligne, mois par mois, toutes les « anomalies ». Sa calculatrice affiche un préjudice de 18000 euros.

«J’ai posé des questions, demandé des détails sur les prélèvements nommés “autres contributions”. Je voulais savoir ce qu’il y avait derrière et connaître les taux précis. J’ai eu toutes les peines du monde à obtenir des réponses par mail», raconte-t-elle. Mediapart a pu le vérifier : dix mails de relance, plusieurs appels et sept semaines d’attente ont été nécessaires pour que Sarah reçoive enfin, par courriel, la totalité des éléments réclamés. Elle a ainsi pu découvrir que certaines charges présentées comme patronales affichaient des taux variables, au fil du temps : 3,5%, puis 4,5% et 4,9 %.

(…) D’autres plaintes, ne visant pas toutes ITG, portent sur des prélèvements, présentés comme des charges patronales alors qu’ils ne le sont pas: frais d’honoraires d’avocat, assurance privée de l’entreprise ou encore CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. «C’est une taxe dont l’assiette inclut la marge de l’entreprise, explique Sylvain Mounier. Son montant, non vérifiable par le salarié, n’est connu qu’en mars de l’année suivante. Cela n’a pas de sens de la reporter sur lui, mais en plus cela permet d’appliquer n’importe quel taux.»

Le cabinet d’avocats Bourdon & Associés a d’ailleurs relevé des taux jusqu’à quatre fois trop élevés pour certains clients.

Questionné sur ces différents points, ITG répond que «tout frais, toute charge, tout montant prélevé aux salariés portés est présenté, discuté, négocié et validé par accord d’entreprise et aujourd’hui par le CSE [comité social et économique – ndlr], en totale conformité et application des règles de droit. Il en va de la CVAE, de la C3S [contribution sociale de solidarité des sociétés – ndlr]comme de la visite médicale et de la taxe d’apprentissage.»

Le PEPS, représentant patronal de la branche du portage, avait publié le 30 avril 2021 un communiqué encourageant «naturellement ses adhérents à appliquer l’avenant n°2». Or, comme indiqué noir sur blanc sur le texte, il ne pouvait entrer en application « avant le premier jour du mois suivant la parution au Journal officiel de l’arrêté ministériel d’extension ». Soit, le 1er juillet2021. Pourquoi avoir demandé aux adhérents de l’appliquer, dès la fin avril? Sur ce point précis, le PEPS n’a pas répondu. Le syndicat indique simplement que « tous les acteurs du portage, représentants des employeurs comme des salariés, jugeaient comme nécessaire une précision des textes. Face au débat sur l’interprétation de la loi, le PEPS avec les organisations syndicales ont donc demandé à l’État de permettre cette clarification et cet avenant afin de mettre fin aux ambiguïtés, si tant est qu’elles existent ».

Quant à ITG, il avance qu’un accord d’entreprise de décembre2019 se réfère explicitement à l’avenant et rend donc «ses prescriptions pleinement applicables. Ses stipulations prévalent sur celles de l’accord de branche ».

Un recours devant le Conseil d’État

Plus embarrassant encore, l’avocat de la Fedep’s considère que la Direction générale du travail n’aurait jamais dû présenter cet avenant à la sous-commission des conventions et accords pour procéder à son extension. «L’avis relatif à l’extension de l’avenant datait d’octobre 2018, décrypte Sylvain Mounier. Or le code du travail stipule que le silence gardé pendant plus de six mois par le ministre chargé du travail saisi d’une demande d’extension vaut décision de rejet. L’extension a portant été faite 31 mois plus tard !» Sollicitée à deux reprises par Mediapart, la Direction générale du travail n’a pas répondu.

De son côté, la Fedep’s va déposer un recours devant le Conseil d’État pour contester la légalité de cet avenant. La CGT pourrait s’y associer. Le syndicat avait apposé sa signature à l’avenant en 2018, avant de se rétracter. « Nous nous sommes laissé entraîner, on faisait confiance aux acteurs du secteur», concède aujourd’hui Xavier Burot, de la fédération CGT des sociétés d’études.

« L’accord devait encadrer le portage salarial. Cette problématique des marges arrière ne nous est pas apparue tout de suite, ajoute Denis Gravouil, le signataire pour la CGT. Par la suite, Sylvain Mounier est venu nous expliquer les pratiques et notre signature a été retirée. » « Avec cet avenant, les sociétés de portage cherchent à s’absoudre de leurs méfaits antérieurs », commente l’avocat, Maître Repolt, qui prévient :« L’extension n’aura d’effets que pour l’avenir et ne remettra pas en question les procédures en cours, pour lesquelles les entreprises en cause sont incapables de se justifier. »

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Pour plus d’information, contactez l’association.

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Portage salarial : des frais toujours aussi bien cachés

 

 

Les entreprises de portage salarial sont toujours aussi peu transparentes sur leurs frais de gestion. Elles en transforment une partie en cotisations sociales prélevées sur le salaire des « portés ». La profession a même tenté d’institutionnaliser cette pratique en la faisant entériner par la Direction générale du travail. En vain jusqu’à présent.

(Extraits de l’article) :

L’argument commercial des frais de gestion

Le niveau de frais de gestion est un argument commercial majeur : « C’est sur la foi de ce taux que nous choisissons notre entreprise de portage salarial », explique Frédéric, consultant en communication. « Le problème, c’est que le taux annoncé est nettement inférieur à la réalité. » Le jour où il a perçu un salaire net de 1 200 euros après avoir facturé 5 000 euros d’honoraires, Frédéric s’est penché sur les pratiques des entreprises de portage salarial. Il n’a pas été déçu du voyage.

Il découvre alors qu’Ad’Missions, l’EPS qu’il a choisie parce qu’elle lui annonce 7 % de frais de gestion, trouve en réalité bien d’autres moyens de se rémunérer. En accumulant de la trésorerie, par exemple : « Près de 1 000 euros ont été ponctionnés au titre de la réserve financière, instaurée en 2017 pour sécuriser les périodes non travaillées. J’ai dû insister lourdement pour que ces sommes me soient restituées. »

Il a également dû batailler pour obtenir des explications sur l’évaporation de certaines sommes : « J’ai donc décidé d’examiner mon compte de situation et mon bulletin de salaire à la loupe, poursuit Frédéric. Au mois de mars, j’ai noté un écart de 148 euros entre les deux. Mes demandes répétées d’explications sont à ce jour sans réponse. »

Des cotisations sociales qui sont en réalité des frais de gestion

A ces dérives ponctuelles s’en ajoute une autre, quasi institutionnalisée : pour afficher des frais de gestion inférieurs à 10 %, l’écrasante majorité des entreprises de portage salarial (autour de 80 %) a pris l’habitude de maquiller une partie de ses charges en cotisations sociales prélevées sur le salaire brut au titre des cotisations patronales, entre 4 % et 7 % du salaire brut sont ainsi ponctionnés. Sur un marché de 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires, les sommes en jeu sont considérables.

Pour afficher des frais de gestion inférieurs à 10 %, la majorité des entreprises de portage salarial maquille une partie de ses charges en cotisations sociales prélevées sur le salaire brut au titre des cotisations patronales

Elles se nichent dans les appellations génériques du bulletin de salaire simplifié telles que « cotisations conventionnelles ou statutaires », « autres charges patronales » ou « autres contributions dues par l’employeur ». Derrière ces énoncés très vagues peuvent se cacher la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, l’une des composantes de l’ancienne taxe professionnelle), la C3S (contribution sociale de solidarité), ou encore l’assurance de responsabilité civile professionnelle (RC Pro). Il s’agit là de charges de l’entreprise de portage, qui devraient à ce titre être incluses dans les frais de gestion. La preuve : elles sont calculées sur la base du chiffre d’affaires de l’entreprise et non sur la rémunération brute du salarié.

Les taux appliqués à ces pseudo-cotisations sociales sont eux-mêmes baroques. Prenons le cas d’ITG, leader du marché du portage salarial : alors que le taux maximal de CVAE est de 1,5 % du chiffre d’affaires, ITG ponctionne à ce titre 2,5 % du salaire brut. Y compris en 2021, alors que le taux de CVAE a été divisé par deux pour aider les entreprises à traverser la crise. Idem pour la C3S, dont le taux de 0,16 % du chiffre d’affaires est porté à 0,27 % du salaire brut. Explication avancée : la masse salariale représente 60 % du chiffre d’affaires des entreprises de portage, donc le taux de ces taxes est majoré de 60 %. On cherche encore la logique…

Assurance contre les redressements sociaux et fiscaux

Autre surprise : les « assurances professionnelles » sont, elles aussi, assimilées à des cotisations sociales au taux de 1,73 %. Sous cette appellation sont regroupées l’assurance RC Pro et une auto-assurance contre les risques sociaux et fiscaux. La RC Pro est un contrat d’assurance privée qui protège l’entreprise de portage salarial (et non les salariés portés) contre les erreurs qu’elle-même ou que les salariés portés pourraient commettre dans le cadre de leur prestation de service : au-delà du fait qu’elle n’a rien d’une cotisation sociale, son montant est dérisoire au regard du taux pratiqué.

Mais c’est surtout le concept d’assurance contre les risques sociaux et fiscaux qui interroge : l’entreprise de portage salarial considère qu’elle doit se protéger contre des éventuels redressements fiscaux ou sociaux (Urssaf). Or, son cœur de métier est précisément d’établir des bulletins de salaire dans les règles de l’art. Peut-elle décemment faire financer ses éventuels manquements aux salariés portés ?

Chez ITG, le montant global des charges d’entreprises indûment perçus sous la forme de cotisations sociales représente 4,5 % du salaire brut. C’est du moins le taux annoncé. En examinant, calculette en main, une dizaine de bulletins de salaire émis par ITG, nous nous sommes rendu compte que le taux réellement pratiqué était de 4,9 %.

« Je vous laisse imaginer les sommes que cela représente sur dix ans d’activité, à raison de plus de 10 000 euros d’honoraires par mois », soupire Brigitte qui, bien que consultante RH, ne s’est jamais vraiment penchée sur ses bulletins de salaire.

Inutile d’imaginer, il suffit de faire le calcul : en dix ans, Brigitte a été lésée d’environ 50 000 euros. « Je ne pouvais imaginer qu’ITG, une entreprise qui a pignon sur rue, dont le dirigeant parle à l’oreille des ministres et parade dans les médias, ne respecte pas la loi », poursuit la consultante qui envisage de porter plainte.

(…)

Label « zéro frais cachés »

A défaut de réel dialogue social, la contestation est venue d’une association. Créée en 2017, la Fedep’s a lancé deux ans plus tard le label « zéro frais cachés ». Les entreprises signataires s’engagent à faire la clarté sur leurs frais de gestion, à n’appliquer que les taux réglementaires et conventionnels de cotisations sociales, à rétrocéder aux salariés portés toutes les aides (formations, allègements de cotisations, crédit d’impôt recherche, etc.) dont ils peuvent bénéficier…

A ce jour, huit entreprises de portage salarial ont été labellisées. « Leurs comptes des deux dernières années ont été passés à la moulinette par les auditeurs financiers mandatés par la Fedeps », explique son président Sylvain Mounier.

 

Lire l’article en totalité :

https://www.alternatives-economiques.fr/portage-salarial-frais-toujours-bien-caches/00099561

Crédit : Alternatives Economiques, Sabine Germain.

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Semaine Sociale Lamy du 14 juin – Portage salarial

Résumé de l’article : Afin d’accroitre leur marge sans augmenter les frais de gestion affichés, certaines sociétés de portage ont eu l’idée de rajouter des charges patronales douteuses dans le bulletin de paie, le coût de celui-ci étant entièrement financé par le montant disponible du salarié porté.

Ce mécanisme de distorsion de concurrence est préjudiciable à la fois aux entreprises de portage qui communiquent leur vrai taux de frais de gestion, comme celles auditées par l’association au travers du Label Zéro Frais cachés, et aux utilisateurs qui paient des frais de gestion parfois doublés par rapport aux taux affichés.

Au final, c’est la confiance même dans les entreprises de portage qui est mise à mal, alors que celles-ci doivent être justement des tiers de confiance. Qui voudrait confier la gestion de son revenu de l’année à une entreprise qui prélève pour son propre compte de façon cachée de la marge sur des cotisations ?

Au lieu de sanctionner les entreprises mises en cause, le syndicat patronal représentatif de la branche fait la promotion d’un avenant qui couvrirait en partie ces pratiques.

Le chemin pour la sécurisation (et la moralisation) du portage salarial se dessinera, sans ces acteurs et ses pratiques, par le respect de la loi par tous, et par la vigilance des salariés et des entreprises clientes. Les utilisateurs avertis du portage salarial et les sociétés de portage auditées et labellisées Zéro Frais cachés, qui représentent 15% du marché et dont la part ne cesse de grossir, y contribuent déjà.

Par Sylvain Mounier, Président de la Fedep’s
Texte publié dans la Semaine Sociale Lamy du 14 juin 2021.

La Semaine Sociale Lamy, dans son numéro du 31 mai, comportait une tribune intitulée « Le portage salarial sécurisé, une voie d’avenir entre travail indépendant et salariat ». Celle-ci affirmait que « l’extension de l’avenant n°2 du 23 avril 2018 » était « l’occasion de revenir sur la construction du cadre juridique » du portage salarial. Co-signée par Patrick Levy-Waitz, dirigeant d’une entreprise de portage sous le coup de plaintes pénales pour escroquerie, cette tribune mérite un décryptage.

En préambule, il paraît utile de rétablir quelques vérités à la lecture de ce texte.

Patrick Levy-Waitz, co-signataire, aux côtés de deux avocats, se présente en tant que « Président de la Fondation Travailler Autrement, Président de la CPPNI du portage salarial ». Il ne fait pas mention de sa qualité de Président et actionnaire de référence du groupe Newlife, acteur économique du secteur, regroupant les sociétés de portage ITG, ABC Portage et Links.

Pourtant des plaintes pénales ont été déposées contre ITG pour escroquerie et pratique commerciale trompeuse par des salariés portés. Ils estiment que la société leur aurait prélevé des charges indûment. Une instruction vient de débuter.

Enfin, cette tribune commence par un mensonge pur et simple : « La parution au Journal officiel de l’arrêté d’extension de l’avenant à la CCN du portage salarial complète son cadre juridique » en faisant référence à l’avenant n°2 du 23 avril 2018. Or, à cette date, et depuis 3 ans, aucun arrêté d’extension de cet avenant n’a été publié au Journal officiel. Quel sentiment d’impunité peut donc animer les auteurs pour fonder une tribune de 5 pages… sur un mensonge, en se substituant à l’autorité compétente, à savoir la Direction Générale du Travail ? Quels sont les enjeux derrière cet avenant ?

Pour comprendre les dessous de ce texte, il faut revenir sur le contexte des 3 instructions en cours, de la trentaine de plaintes pénales déposées contre 7 sociétés de portage, dont ITG, du supposé système de surfacturations des charges patronales mis en place par d’autres acteurs importants du secteur de portage, et regarder le détail de ce que promet l’avenant n°2 dont il est question dans l’article.

L’invention de nouvelles charges patronales par d’importantes sociétés de portage salarial

Le portage salarial est est régi par la Loi n°2016-1088 du 8 août 2016 qui en a codifié un certain nombre de dispositions dans les articles L.1254-1 et suivants du Code du travail.

En portage salarial, le salarié porté confie son chiffre d’affaires à une entreprise de portage qu’il choisit. Celle-ci gère pour lui sa facturation, et lui reverse des prestations sous différentes formes : salaires et cotisations sociales associées, remboursements de frais, et autres avantages optionnels tel qu’un PEE, des CESU etc… Pour rémunérer ses services et couvrir ses charges, la société de portage prélève des frais de gestion sur le chiffre d’affaires encaissé.

Le code du travail prévoit, dans son article L1254-21, l’obligation pour l’entreprise de portage de mentionner, dans le contrat de travail, « Les modalités de calcul et de versement de la rémunération due au salarié porté pour la réalisation de la prestation, de l’indemnité d’apport d’affaire, des prélèvements sociaux et fiscaux, des frais de gestion et, le cas échéant, des frais professionnels ; ces modalités sont appliquées au prix de chaque prestation convenu entre le salarié porté et l’entreprise cliente »

Et l’article L1254-25 impose à l’entreprise de portage de mettre en place un compte d’activité pour chaque salarié porté, en indiquant tous les mois le détail des frais de gestion prélevés.

L’article 21.2 de la convention collective des salariés en portage salarial de mars 2017 précise :

« En contrepartie de chaque prestation, le salarié porté disposera d’un montant disponible calculé comme suit : Prix de la prestation HT encaissée par l’EPS [Entreprise de Portage Salarial] – frais de gestion = montant disponible. »

Le chiffre d’affaires encaissé est donc ventilé en deux parties : les frais de gestion, destinés à l’entreprise de portage, et le montant disponible, mis à la disposition du salarié porté.

C’est également ce que communiquent les entreprises de portage aux candidats au portage et aux entreprises clientes : CA – frais de gestion = salaire brut + charges patronales + notes de frais remboursées.

Il s’en suit que le niveau des frais de gestion proposé par l’entreprise de portage est le principal critère de mise en concurrence, au regard des services proposés, utilisé tant par les futurs salariés qui cherchent à faire « porter » leur chiffre d’affaires, que par les entreprises clientes qui référencent des entreprises de portage.

Afin d’accroitre leur marge sans augmenter les frais de gestion affichés, certaines sociétés de portage ont eu l’idée de rajouter des charges patronales douteuses dans le bulletin de paie, le coût de celui-ci étant entièrement financé par le montant disponible du salarié porté.

A titre d’exemple, on peut y trouver des frais d’avocat de l’entreprise de portage, des impôts de production l’entreprise, comme la Cotisation à la valeur ajoutée (CVAE), l’assurance Responsabilité Civile Professionnelle et d’autres charges de l’entreprise telles quel l’eau, l’électricité, voire même des provisions en cas de redressements…cachés dans les lignes du bulletins de paie sous des libellés fourre tout : « Autres charges patronales », « Autres Contributions dues par l’employeur », « Cotisations Statutaires ou conventionnelles »

Ces montants prélevés à l’insu des salariés posent un problème à trois niveaux :
– ils sont qualifiés de charges patronales appuyées sur le salaire, ce qu’ils ne sont pas,
– ils sont majorés par rapport aux montants réels, parfois jusqu’à 20 fois,
– ils ne sont pas affichés dans les frais de gestion.

Ces montants sont généralement de plusieurs centaines d’euro par mois, et représentent entre 3% et 9% du salaire brut, pour des frais de gestion affichés entre 5% et 10% du chiffre d’affaires. Dans les dossiers que nous accompagnons, cela représente plusieurs milliers d’euros, pour des salariés précaires, jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros pour des cadres dans l’informatique ou des managers de transition, et au-delà en surcoûts cumulés pour les entreprises clientes.

Ce mécanisme de distorsion de concurrence est préjudiciable à la fois aux entreprises de portage qui communiquent leur vrai taux de frais de gestion, comme celles auditées par l’association au travers du Label Zéro Frais cachés, et aux utilisateurs qui paient des frais de gestion parfois doublés par rapport aux taux affichés.

Au final, c’est la confiance même dans les entreprises de portage qui est mise à mal, alors que celles-ci doivent être justement des tiers de confiance. Qui voudrait confier la gestion de son revenu de l’année à une entreprise qui prélève pour son propre compte de façon cachée de la marge sur des cotisations ?

L’avenant n°2 du 23 avril 2018

Au lieu de sanctionner les entreprises mises en cause, le syndicat patronal représentatif de la branche fait la promotion d’un avenant qui couvrirait en partie ces pratiques.

Rédigé et proposé aux syndicats en pare-feu 3 mois après la révélation dans la presse de ce scandale, et consécutivement à l’ouverture d’une première enquête préliminaire par le parquet de Paris, cet avenant introduit un risque juridique et fausse la concurrence pour l’ensemble du secteur. Il tente opportunément de rendre floue la frontière entre la rémunération de l’entreprise de portage et celle du salarié en vidant de sa substance la notion des frais de gestion. Il est en outre inapplicable, et pose un problème de compatibilité avec le code du travail.

En effet il stipule :

a. que la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) n’est plus incluse dans les frais de gestion, et peut être prélevée par l’entreprise dans le compte du salarié porté.

Or la CVAE est un impôt de l’entreprise qui a pour assiette la valeur ajoutée et dont le taux dépend du CA consolidé de l’entreprise :

– Le résultat net de l’entreprise comme son loyer font partie de l’assiette de cet impôt. Cela reviendrait à faire financer par le montant disponible du salarié un impôt en partie fondée sur le résultat net de l’entreprise (!).

– Le taux de CVAE n’est pas lié à l’activité du salarié, il dépend du volume total annuel de l’activité de l’entreprise. Il n’est donc connu qu’à la clôture des comptes de celle-ci, intervenant à l’année N+1 du versement du salaire. Par exemple dans le cas d’un contrat CDD de 3 mois conclu en avril 2021, sur un exercice clôturant fin décembre, le salaire ne pourrait être déterminé qu’en… mars 2022, soit 11 mois après, et 9 mois après la clôture du contrat (!).

b. que « ces prélèvements sociaux et fiscaux et autres charges [qui ne sont pas couverts par les frais de gestion], intégralement financés par le salarié porté, se composent notamment de : (…) – Autres charges qui couvrent les salariés portés, leurs activités, leurs biens et leurs avoirs, et tout autre risque et service lié à l’activité du salarié porté ».

Or selon l’article L1254-24 du code du travail « L’entreprise de portage salarial exerce à titre exclusif l’activité de portage salarial ». Et cette activité de portage salarial consiste justement à porter les activités des salariés portés. Donc, dans une entreprise de portage, l’intégralité du chiffre d’affaire, et donc de ses charges, sont directement liés à l’activité du salarié porté ! Si l’intégralité des charges de l’entreprise de portage, dont celles liées aux services fournis aux salariés portés, ne sont pas incluses dans les frais de gestion, qu’est-ce que le législateur a voulu définir par les « frais de gestion » dans les articles du code du travail ?

Au-delà de l’incompatibilité avec le code du travail, et l’absurdité de la situation causée par cet avenant, impliquant que les « frais de gestion » négociés n’incluraient pas… les frais de gestion, cela remettrait en cause les rémunérations prévues par l’ensemble des contrats de travail déjà signés, questionnerait les utilisateurs de l’intérêt de verser à une société de portage des frais de gestion ne couvrant pas les services apportés, et ouvrirait la voie au prélèvement par les entreprises de n’importe quelles de leurs charges sur la rémunération du salarié porté sans justifications.

Alors, le portage sécurisé, vraiment ?

Actuellement un certain nombre d’entreprises prélèvent déjà des charges douteuses et refusent de donner accès aux comptes, attestations, relevés de paiements etc.… qui permettrait aux salariés d’en vérifier la (non) réalité. Les y encourager par l’extension de cet avenant ne serait pas une bonne idée.

Le chemin pour la sécurisation (et la moralisation) du portage salarial se dessinera, sans ces acteurs et ses pratiques, par le respect de la loi par tous, et par la vigilance des salariés et des entreprises clientes. Les utilisateurs avertis du portage salarial et les sociétés de portage auditées et labellisées Zéro Frais cachés, qui représentent 15% du marché et dont la part ne cesse de grossir, y contribuent déjà.

Les instructions en cours feront le reste.