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Portage salarial : des frais toujours aussi bien cachés

 

 

Les entreprises de portage salarial sont toujours aussi peu transparentes sur leurs frais de gestion. Elles en transforment une partie en cotisations sociales prélevées sur le salaire des « portés ». La profession a même tenté d’institutionnaliser cette pratique en la faisant entériner par la Direction générale du travail. En vain jusqu’à présent.

(Extraits de l’article) :

L’argument commercial des frais de gestion

Le niveau de frais de gestion est un argument commercial majeur : « C’est sur la foi de ce taux que nous choisissons notre entreprise de portage salarial », explique Frédéric, consultant en communication. « Le problème, c’est que le taux annoncé est nettement inférieur à la réalité. » Le jour où il a perçu un salaire net de 1 200 euros après avoir facturé 5 000 euros d’honoraires, Frédéric s’est penché sur les pratiques des entreprises de portage salarial. Il n’a pas été déçu du voyage.

Il découvre alors qu’Ad’Missions, l’EPS qu’il a choisie parce qu’elle lui annonce 7 % de frais de gestion, trouve en réalité bien d’autres moyens de se rémunérer. En accumulant de la trésorerie, par exemple : « Près de 1 000 euros ont été ponctionnés au titre de la réserve financière, instaurée en 2017 pour sécuriser les périodes non travaillées. J’ai dû insister lourdement pour que ces sommes me soient restituées. »

Il a également dû batailler pour obtenir des explications sur l’évaporation de certaines sommes : « J’ai donc décidé d’examiner mon compte de situation et mon bulletin de salaire à la loupe, poursuit Frédéric. Au mois de mars, j’ai noté un écart de 148 euros entre les deux. Mes demandes répétées d’explications sont à ce jour sans réponse. »

Des cotisations sociales qui sont en réalité des frais de gestion

A ces dérives ponctuelles s’en ajoute une autre, quasi institutionnalisée : pour afficher des frais de gestion inférieurs à 10 %, l’écrasante majorité des entreprises de portage salarial (autour de 80 %) a pris l’habitude de maquiller une partie de ses charges en cotisations sociales prélevées sur le salaire brut au titre des cotisations patronales, entre 4 % et 7 % du salaire brut sont ainsi ponctionnés. Sur un marché de 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires, les sommes en jeu sont considérables.

Pour afficher des frais de gestion inférieurs à 10 %, la majorité des entreprises de portage salarial maquille une partie de ses charges en cotisations sociales prélevées sur le salaire brut au titre des cotisations patronales

Elles se nichent dans les appellations génériques du bulletin de salaire simplifié telles que « cotisations conventionnelles ou statutaires », « autres charges patronales » ou « autres contributions dues par l’employeur ». Derrière ces énoncés très vagues peuvent se cacher la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, l’une des composantes de l’ancienne taxe professionnelle), la C3S (contribution sociale de solidarité), ou encore l’assurance de responsabilité civile professionnelle (RC Pro). Il s’agit là de charges de l’entreprise de portage, qui devraient à ce titre être incluses dans les frais de gestion. La preuve : elles sont calculées sur la base du chiffre d’affaires de l’entreprise et non sur la rémunération brute du salarié.

Les taux appliqués à ces pseudo-cotisations sociales sont eux-mêmes baroques. Prenons le cas d’ITG, leader du marché du portage salarial : alors que le taux maximal de CVAE est de 1,5 % du chiffre d’affaires, ITG ponctionne à ce titre 2,5 % du salaire brut. Y compris en 2021, alors que le taux de CVAE a été divisé par deux pour aider les entreprises à traverser la crise. Idem pour la C3S, dont le taux de 0,16 % du chiffre d’affaires est porté à 0,27 % du salaire brut. Explication avancée : la masse salariale représente 60 % du chiffre d’affaires des entreprises de portage, donc le taux de ces taxes est majoré de 60 %. On cherche encore la logique…

Assurance contre les redressements sociaux et fiscaux

Autre surprise : les « assurances professionnelles » sont, elles aussi, assimilées à des cotisations sociales au taux de 1,73 %. Sous cette appellation sont regroupées l’assurance RC Pro et une auto-assurance contre les risques sociaux et fiscaux. La RC Pro est un contrat d’assurance privée qui protège l’entreprise de portage salarial (et non les salariés portés) contre les erreurs qu’elle-même ou que les salariés portés pourraient commettre dans le cadre de leur prestation de service : au-delà du fait qu’elle n’a rien d’une cotisation sociale, son montant est dérisoire au regard du taux pratiqué.

Mais c’est surtout le concept d’assurance contre les risques sociaux et fiscaux qui interroge : l’entreprise de portage salarial considère qu’elle doit se protéger contre des éventuels redressements fiscaux ou sociaux (Urssaf). Or, son cœur de métier est précisément d’établir des bulletins de salaire dans les règles de l’art. Peut-elle décemment faire financer ses éventuels manquements aux salariés portés ?

Chez ITG, le montant global des charges d’entreprises indûment perçus sous la forme de cotisations sociales représente 4,5 % du salaire brut. C’est du moins le taux annoncé. En examinant, calculette en main, une dizaine de bulletins de salaire émis par ITG, nous nous sommes rendu compte que le taux réellement pratiqué était de 4,9 %.

« Je vous laisse imaginer les sommes que cela représente sur dix ans d’activité, à raison de plus de 10 000 euros d’honoraires par mois », soupire Brigitte qui, bien que consultante RH, ne s’est jamais vraiment penchée sur ses bulletins de salaire.

Inutile d’imaginer, il suffit de faire le calcul : en dix ans, Brigitte a été lésée d’environ 50 000 euros. « Je ne pouvais imaginer qu’ITG, une entreprise qui a pignon sur rue, dont le dirigeant parle à l’oreille des ministres et parade dans les médias, ne respecte pas la loi », poursuit la consultante qui envisage de porter plainte.

(…)

Label « zéro frais cachés »

A défaut de réel dialogue social, la contestation est venue d’une association. Créée en 2017, la Fedep’s a lancé deux ans plus tard le label « zéro frais cachés ». Les entreprises signataires s’engagent à faire la clarté sur leurs frais de gestion, à n’appliquer que les taux réglementaires et conventionnels de cotisations sociales, à rétrocéder aux salariés portés toutes les aides (formations, allègements de cotisations, crédit d’impôt recherche, etc.) dont ils peuvent bénéficier…

A ce jour, huit entreprises de portage salarial ont été labellisées. « Leurs comptes des deux dernières années ont été passés à la moulinette par les auditeurs financiers mandatés par la Fedeps », explique son président Sylvain Mounier.

 

Lire l’article en totalité :

https://www.alternatives-economiques.fr/portage-salarial-frais-toujours-bien-caches/00099561

Crédit : Alternatives Economiques, Sabine Germain.